Drapeau européen et statue avec yeux bandés

Hongrie et Pologne – Le 30 septembre 2020, la Commission européenne a présenté son premier rapport annuel sur la situation de l’état de droit dans chaque pays membre de l’UE. De ce rapport est ressorti que deux pays font face à des difficultés quant à sa mise en place et son respect : la Pologne et la Hongrie. Suite aux mesures d’urgence prises dans ces pays pour gérer la crise sanitaire, et leur opposition quant au plan de relance pour l’Europe, l’état de droit se retrouve au centre des débats européens.

Le professeur et juriste autrichien Hans Kelsen, qui est à l’origine de la théorie de la “pyramide des normes”, est également celui qui a réactualisé la notion “d’état de droit” au début du XXème siècle. Il le définit comme un “État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée”. Il s’agit donc d’un État soumis au droit. Cette notion est d’ailleurs l’une des valeurs fondamentales de l’Union Européenne, comme en témoigne son inscription dans l’article 2 du Traité sur l’Union Européenne.

La Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen affirmait, en 2020, que l’état de droit est le “fondement de nos sociétés” et qu’il contribue à protéger “les citoyens du règne de la loi du plus fort”. Dans cet objectif de protection et de garantie des droits et libertés des citoyens, elle a souhaité créer un nouveau mécanisme de protection : l’établissement de rapports annuels objectifs par la Commission, permettant ainsi d’anticiper ou constater les entraves qui pourraient y être faites. Afin de procéder à cette évaluation dans chaque pays, ce sont les quatre éléments suivants qui sont observés : les systèmes de justice nationaux, les cadres de lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias, ainsi que l’équilibre des pouvoirs.

Lors de la publication du premier rapport en septembre dernier, la Hongrie et la Pologne se sont retrouvées sous le feu des projecteurs européens. Le pouvoir judiciaire n’y est ni indépendant ni impartial : en Pologne, par exemple, le ministre de la justice est également procureur général. On y retrouve des affaires de corruption mais également des droits et libertés bafoués : entraves à la liberté d’expression avec la censure de certains médias dans les deux pays, politique migratoire inquiétante en Hongrie, ou encore décision du Conseil Constitutionnel polonais venant interdire le droit à l’IVG, l’expression “ne jamais se prévaloir d’un droit acquis” semble remise au goût du jour (https://www.cspolitique.fr/le-monde-et-lavortement-peut-on-encore-se-prevaloir-dun-droit-acquis/).

Souhaitant “faire avancer ensemble” les pays membres, et ainsi connaître une Union “uniformisée”, le respect et l’application de l’état de droit semble être une condition majeure pour poursuivre en ce sens. Mais le refus d’obtempérer de la Hongrie et de la Pologne souligne une limite de l’Union, et remet en cause sa crédibilité sur la scène internationale. En effet, en cas de non-respect des droits fondamentaux de l’Union, une procédure de sanction est prévue à l’article 7 du TUE, et peut aboutir à la suspension des droits de votes de l’État en question au Conseil. Cependant cette procédure n’a jamais pu fonctionner, puisqu’elle repose sur un vote à l’unanimité des États, quasiment impossible à obtenir. Que ce soit en 2017, pour la première fois, pour la Pologne, ou en 2018 et 2020 pour la Hongrie, cette procédure, bien que considérée comme une humiliation pour les États contre qui elle est érigée, n’a jamais fait ses preuves. Aujourd’hui donc, il est très compliqué d’imposer et de faire respecter l’État de droit.

Malgré cela, la crise du coronavirus semble faire avancer les choses. Effectivement, en 2020, Budapest et Varsovie posaient leur véto au budget pluriannuel pour 2021-2027, ainsi qu’au plan de relance “Next Generation UE”. Pourquoi ? Ce dernier est conditionné : il lie le versement des fonds européens au respect de l’état de droit. Ainsi, en cas de violation de celui-ci, les fonds ne sont plus garantis. Connaissant leurs situations respectives et ne souhaitant pas faire l’objet de sanctions, la Hongrie et la Pologne s’y sont fermement opposées. Or, les deux pays, faisant également face à des besoins financiers à cause de la crise, ont fini par débloquer les négociations sans que cette condition ne soit modifiée. En revanche, elle est désormais annexée d’un droit de contester la légalité du dispositif dans un délai de deux mois auprès de la Cour de justice de l’Union Européenne. Si cette annexe n’inquiète pas les autres États membres, favorables à la condition de l’état de droit, c’est parce que la Pologne et la Hongrie, en enclenchant cette annexe, ont peu de chance de la faire aboutir. La Pologne a, tout de même, réussi à négocier davantage ; le plan de relance reposant également sur le “green deal”, donc la réduction des émissions de carbone. Mais l’économie de la Pologne étant dépendante du charbon, celle-ci a dès lors été désignée comme la première bénéficiaire du “fonds de transition juste”. Ne semblant pas contraignant, cet accord est perçu comme une victoire pour l’état de droit et “l’Europe avance !” tweetait la Présidente de la Commission.

Bien que les européens espèrent que cette situation durera, les chercheurs se posent aujourd’hui une question : l’Union Européenne défend-elle l’état de droit, ou cherche-t-elle davantage à incarner une “union de droit”?

Christia Poirier – 03/03/21

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