« Trois ans de prison ; deux ans avec sursis et un an ferme ». Tel est le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire des « écoutes », impliquant l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, son avocat historique Thierry Herzog et le magistrat Gilbert Azibert. Une telle sentence est totalement inédite pour un ancien chef d’État et elle vient marquer des années de bras de fer avec la justice. Nicolas Sarkozy est en effet poursuivi par le Parquet national financier depuis 2014 pour avoir tenté d’obtenir des informations le concernant dans l’affaire Bettencourt, afin d’influer sur la décision de la Cour de cassation, par l’entremise du magistrat Gilbert Azibert. Ce dernier, en l’échange d’informations couvertes par le secret professionnel, se serait fait promettre un poste à Monaco.
L’ancien chef de l’État n’ayant pas obtenu gain de cause et Gilbert Azibert n’ayant jamais été nommé à Monaco, l’accusé misait sur la clémence de la justice. Mais le tribunal a déclaré que deux délits portant « gravement atteinte à la légitime confiance que chaque citoyen est en droit d’accorder à la justice » ont été commis, et l’enjeu est ici très politique. Il est question de l’autorité des juges face à un ancien Président de la République de la Vème République, qui officiellement n’est plus protégé par son irresponsabilité pénale garantie pendant le mandat, mais le reste tout de même officieusement. L’article 67 de la Constitution dicte en effet : « Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68 », signifiant qu’aucune procédure ne peut être enclenchée contre le Président durant l’exercice de ses fonctions.
La révision constitutionnelle de 2007 précise que cette irresponsabilité vaut à la fois dans les domaines politique, pénal, civil et administratif mais cette inviolabilité totale est temporaire puisqu’elle prend effectivement fin un mois après la cessation des fonctions. Cette irresponsabilité, bien que temporaire, a souvent permis aux Présidents de la Vème République de passer à travers les mailles du filet et elle est souvent remise en cause. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs sans cesse chercher à discréditer les méthodes d’investigation du Parquet national financier depuis 2014, en remettant en cause la légalité des écoutes téléphoniques ayant permis de faire éclater l’affaire.
Si on peut voir dans la galvanisation des troupes « sarkoziennes » contre les juges une tentative de réarmement politique, c’est aussi une manœuvre dangereuse qui contribue à nourrir la méfiance populaire envers la justice et qui mine la démocratie. Ce « feuilleton judiciaire » qui dure depuis 2014 est cependant loin d’être terminé, comme le souligne l’avocate de Nicolas Sarkozy, Jacqueline Laffont qui affirmait faire appel à la décision de justice. Selon elle, il s’agirait d’un « coup de pouce » rendu à un ami, et non du « plus haut spectre de corruption » dont parle le parquet. De plus, les avocats des accusés évoquaient un « désert de preuve » et « d’acharnement politique », dénonçant le parquet national financier comme étant un instrument politique crée contre la droite, et plus spécifiquement contre Nicolas Sarkozy lui-même. L’institution est effectivement née de l’initiative de François Hollande fin 2013, dans le but de traquer la délinquance économique et financière, trop présente dans les hauts cercles de la politique française.
Dans une interview accordée au Figaro juste après sa condamnation, l’ancien chef de l’État contre-attaque en faisant part de son sentiment « d’injustice profonde » et de sa détermination afin que triomphent « droit et justice ». La possibilité d’amener le combat jusque devant la Cour Européenne des droits de l’Homme est aussi évoquée.
Même si l’ancien chef d’État est relaxé en appel, son nom sera durablement entaché, d’autant plus que s’ouvre le 17 mars, une autre affaire le concernant – l’affaire Bygmalion – portant sur le dépassement des frais de campagne lors des élections présidentielles de 2012. Bien que retiré de la scène politique depuis 2016, Nicolas Sarkozy restait une figure importante de la droite française et certains prédisaient un éventuel retour pour les présidentielles de 2022.
Un bon nombre de personnalités de droite ont d’ailleurs exprimé leur soutien à Nicolas Sarkozy, dont le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui fait part de son « soutien amical » et Nicolas Dupont Aignan qui tweetait « quand la justice sera-t-elle aussi sévère avec les délinquants qui trafiquent de la drogue et agressent nos policiers ? », ce qui pose un problème de confusion des institutions et d’immixtion du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire.
L’affaire est donc loin d’être terminée et revête des enjeux bien particuliers qui pourront marquer un tournant dans l’histoire de la Vème République…
Louis Brand – 04/03/21